La vie ne nécessite-t-elle pas de compromis?
Extrait tiré du recueil d'essais "La Vertu d'égoïsme: Un nouveau concept de l'éthique" par Ayn Rand et Nathaniel Branden.
Un compromis est un ajustement de revendications contradictoires par des concessions mutuelles. Cela signifie que les deux parties impliquées dans un compromis ont des revendications valables et des valeurs à s'offrir mutuellement. Et cela signifie que les deux parties s'accordent sur un principe fondamental qui sert de base à leur accord.
Ce n'est qu'en ce qui concerne les éléments concrets ou particuliers, mettant en œuvre un principe de base mutuellement accepté, qu'un compromis peut être envisagé. Par exemple, on peut négocier avec un acheteur le prix qu'on souhaite obtenir pour son produit, et convenir d'une somme quelque part entre sa demande et son offre. Le principe de base mutuellement accepté, dans un tel cas, est celui du commerce, à savoir : l'acheteur doit payer le vendeur pour son produit. Mais si l'on voulait être payé et que l'acheteur présumé souhaitait obtenir le produit gratuitement, aucun compromis, accord ou discussion ne serait possible, seulement la capitulation totale de l'une ou l'autre partie.
Il ne peut y avoir de compromis entre un propriétaire et un cambrioleur ; offrir au cambrioleur une seule cuillère de sa coutellerie ne serait pas un compromis, mais une capitulation totale - la reconnaissance de son droit sur la propriété d'autrui. Quelle valeur ou concession le cambrioleur a-t-il offerte en retour ? Et une fois que le principe de concessions unilatérales est accepté comme base d'une relation par les deux parties, il n'est qu'une question de temps avant que le cambrioleur ne s'empare du reste. Un exemple de ce processus est la politique étrangère actuelle des États-Unis.
Il ne peut y avoir de compromis entre la liberté et les contrôles gouvernementaux ; accepter "juste quelques contrôles" revient à abandonner le principe des droits individuels inaliénables et à le remplacer par le principe du pouvoir illimité et arbitraire du gouvernement, se livrant ainsi à un esclavage progressif. Un exemple de ce processus est la politique intérieure actuelle des États-Unis.
Il ne peut y avoir de compromis sur des principes fondamentaux ou sur des questions essentielles. Que considéreriez-vous comme un "compromis" entre la vie et la mort ? Ou entre la vérité et le mensonge ? Ou entre la raison et l'irrationalité ?
Aujourd'hui, cependant, lorsque les gens parlent de "compromis", ce qu'ils veulent dire n'est pas une concession mutuelle légitime ou un échange, mais précisément la trahison des principes de chacun - la capitulation unilatérale devant des revendications irraisonnées et sans fondement. La racine de cette doctrine est le subjectivisme éthique, qui soutient qu'un désir ou un caprice est une valeur morale irréductible, que chaque homme a le droit d'affirmer n'importe quel désir qu'il pourrait avoir, que tous les désirs ont une validité morale égale, et que la seule façon pour les hommes de vivre ensemble est de céder à tout et de "faire des compromis" avec n'importe qui. Il n'est pas difficile de voir qui en profiterait et qui perdrait à une telle doctrine.
L'immoralité de cette doctrine - et la raison pour laquelle le terme "compromis" implique, dans l'usage général d'aujourd'hui, un acte de trahison morale - réside dans le fait qu'elle exige des hommes qu'ils acceptent le subjectivisme éthique comme le principe fondamental supplantant tous les principes dans les relations humaines et qu'ils sacrifient n'importe quoi en concession aux caprices des autres.
La question "La vie ne nécessite-t-elle pas des compromis ?" est généralement posée par ceux qui ne font pas de distinction entre un principe fondamental et un souhait concret et spécifique. Accepter un emploi inférieur à celui que l'on souhaitait n'est pas un "compromis". Obéir à son employeur sur la manière d'accomplir le travail pour lequel on est embauché n'est pas un "compromis". Ne pas avoir de gâteau après l'avoir mangé n'est pas un "compromis".
L'intégrité ne consiste pas à être fidèle à ses caprices subjectifs, mais à être fidèle à des principes rationnels. Un "compromis" (au sens dépourvu de principes de ce mot) n'est pas une rupture de son confort, mais une rupture de ses convictions. Un "compromis" ne consiste pas à faire quelque chose qu'on n'aime pas, mais à faire quelque chose qu'on sait être mal. Accompagner son mari ou sa femme à un concert quand on n'aime pas la musique, ce n'est pas un "compromis" ; se soumettre à ses exigences irrationnelles en matière de conformité sociale, de pratique religieuse feinte ou de générosité envers des beaux-parents grossiers, l'est. Travailler pour un employeur qui ne partage pas ses idées n'est pas un "compromis" ; prétendre partager ses idées en est un. Accepter les suggestions d'un éditeur pour apporter des modifications à son manuscrit, quand on voit la validité rationnelle de ses suggestions, n'est pas un "compromis" ; apporter de tels changements pour lui plaire ou pour plaire au "public", contre son propre jugement et ses normes, en est un.
L'excuse donnée dans tous ces cas est que le "compromis" n'est que temporaire et qu'on retrouvera son intégrité à une date future indéterminée. Mais on ne peut pas corriger l'irrationalité de son conjoint en y cédant et en l'encourageant à s'accroître. On ne peut pas remporter la victoire de ses idées en aidant à propager leur contraire. On ne peut pas offrir un chef-d'œuvre littéraire, "quand on sera devenu riche et célèbre", à un public qu'on s'est acquis en écrivant des sottises. Si on trouvait difficile de maintenir sa fidélité à ses propres convictions au départ, une succession de trahisons - qui ont contribué à accroître le pouvoir du mal devant lequel on manquait de courage pour se battre - ne facilitera pas les choses à une date ultérieure, mais les rendra pratiquement impossibles.
Il ne peut y avoir de compromis sur les principes moraux. "Dans tout compromis entre la nourriture et le poison, c'est seulement la mort qui peut gagner. Dans tout compromis entre le bien et le mal, c'est seulement le mal qui peut en profiter." (La Grève, Ayn Rand).
La prochaine fois que vous serez tenté de demander : "La vie ne nécessite-t-elle pas de compromis ?", traduisez cette question dans son sens réel : "La vie ne nécessite-t-elle pas la reddition de ce qui est vrai et bon à ce qui est faux et mal ?" La réponse est que c'est précisément ce que la vie interdit - si l'on souhaite réaliser quelque chose d'autre qu'une période d'années torturées passées dans une autodestruction progressive.
- Ayn Rand (Juillet 1962)